On parle souvent de démocratie directe, mais, en dehors des Suisses pour qui c’est un exercice quasi trimestriel, peu de personnes savent réellement comment fonctionne un système réellement démocratique.
Je passerais très rapidement sur le système législatif suisse qui compte parmi les plus avancés du monde. En gros, la Suisse connaît trois niveaux politiques. À titre de comparaison, la France en comptait 7, jusqu’à la fameuse loi NOTRe, qui devait simplifier la chose et qui, pour ce faire, en a… rajouté un 8e (les métropoles).
Ces trois niveaux politiques sont, dans l’ordre de proximité du citoyen :
- la commune,
- le canton,
- l’état fédéral.
Oui, la Suisse est en fait une mini Europe composée de 26 pays et non un petit pays composé de 26 régions, on a tendance à l’oublier.
La loi suisse permet (entre autres) aux citoyens de ces trois niveaux :
- de créer ou supporter une initiative populaire qui permet une modification de la Constitution sur des sujets importants (on connaît tous la question des six semaines de congé, rejeté par le peuple ou celle de l’interdiction des minarets, acceptée par le peuple). Au niveau fédéral, il faut réunir 100 000 signatures de personnes disposant du droit de vote (Les Alsaciens apprécieront le mépris avec lequel le gouvernement et Philippe Richert ont traité la pétition « Alsace, retrouve ta voix »). Au niveau cantonal ou communal, l’étendue du droit à l’initiative est souvent plus large qu’au niveau fédéral. Plusieurs cantons prévoient par exemple l’initiative législative, qui permet de demander l’introduction ou la modification d’une loi.
- De s’opposer à une loi, un peu selon le même principe, sauf qu’au niveau fédéral, il ne faut « que » 50 000 signatures pour que la loi contestée soit soumise à votation populaire.
Concrètement, comment ça se passe ? Je vais vous illustrer le concept par la pratique en vous présentant l’initiative populaire « Économie verte » (j’aurais préféré le faire avec l’initiative « Monnaie pleine », mais le cap des 100 000 signatures étant atteint, cette initiative est dans le circuit qui conduit à la votation et qui dure de deux à trois ans.
Concernant l’initiative « Économie verte », on a au départ un comité qui se crée, de 7 à 27 personnes disposant du droit de vote. Souvent, les partis politiques sont à la manoeuvre.
Désormais, c’est un site internet qui centralise toute l’information et les supports nécessaires. Ici, c’est le site http://www.economieverte.ch.
L’objet de ce post n’étant pas l’initiative en elle-même, on ne va pas s’attarder sur celle-ci. On notera quand même qu’on retrouve toute l’information sur l’initiative, y compris les arguments des opposants, les supports à télécharger, les soutiens, etc. Et comme nous sommes en Suisse, pays aux quatre langues officielles, on retrouve l’initiative en allemand et en italien (parfois aussi en romanche, mais pas ici).
On ne s’en rend pas compte depuis la France, mais bien entendu, toute la presse (internet, papier, radio et télé) participe à la réflexion sur l’utilité de l’initiative et des débats sont organisés un peu partout. Il faut dire que la presse suisse n’a rien à voir avec celle de la France qui est concentrée entre les mains des grandes entreprises et des banques.
Et on arrive à la votation. Pour celle-ci, il y a deux autres initiatives fédérales qui demandent aussi le scrutin des votants. Chaque Suisse reçoit son fascicule de vote, dont ce livret explicatif, duquel je vais partager avec vous les pages de l’initiative « Économie verte ».
Sur la couverture, du livret, dont la forme et la couleur ne changent pas au fil des votations, on retrouve le titre des initiatives sur lesquelles on est appelé à se prononcer, la date de la votation et au dos, les recommandations de vote du Conseil Fédéral et du Parlement, la date de bouclage et les liens pour plus d’informations.
Le sommaire reprend les initiatives et les présente rapidement.
Viennent ensuite les initiatives. Sur la page de gauche, on retrouve l’objet de l’initiative, la question à laquelle il faut répondre et la recommandation du Conseil Fédéral et du Parlement (qui sont très souvent d’accord). Rien de choquant dans cette recommandation pour les Suisses. Globalement, ils font confiance à leurs élus et leur avis compte. Et quand une votation porte sur un sujet qui ne les intéresse pas forcément, bien souvent ils suivent la recommandation du Conseil national et du Parlement.
On retrouve en face, sur la page de droite, une brève présentation de l’initiative, avec le contexte, la demande et encore une fois, les recommandations du Conseil national et du Parlement, mais un peu plus détaillées.
Sur les pages suivantes, on trouve à gauche les explications sur des notions essentielles de l’initiative et à droite, l’initiative présentée cette fois de façon plus approfondie, l’explication continue sur la page suivante.
On trouve ensuite le texte qui sera soumis au vote sur du papier de couleur rose.
Viennent ensuite les arguments du comité d’initiative avec le lien vers le site pour en savoir plus.
Pour finir, on trouve les arguments du Conseil fédéral.
À la grande différence de la France où la désinformation ou plutôt l’information orientée est la règle, la Suisse considère qu’il faut que les citoyens soient cultivés et “éclairés” pour se prononcer. C’est donc tout un travail d’information qui va suivre une fois les 100 000 signatures réunies.
On va parler de l’initiative à la télévision, à la radio, dans la presse écrite et bien entendu sur internet pour que le citoyen responsable et informé (éclairé) puisse se prononcer sur une initiative ou s’opposer à une loi.
En France, on considère que le peuple est trop con pour se prononcer sur des sujets aussi sérieux. On est prié de faire confiance aux élus, les seuls a être doté d’intelligence.
Pourtant, à comparer les deux systèmes, n’est-il pas évident que l’un est très largement meilleur que l’autre au regard des niveaux de vie, du respect des minorités, des langues, etc. ? On nous sert le modèle allemand, pourquoi ne jamais évoquer la Suisse ? Selon vous, pourquoi ne voit-on jamais de comparaison objective ? Trop dangereuse pour nos élus ?
Quand je parle de démocratie directe, la réponse standard que l’on m’oppose est que la France est un trop grand pays pour qu’on puisse l’appliquer. Ah bon ? Donc les Français sont assez bons pour élire, non pas le candidat de leur choix, mais celui qui semble le moins mauvais dans les mensonges de sa campagne électorale des présidentielles, mais trop stupide pour se prononcer sur des enjeux de société ?
Précisons quand même que la Suisse a aussi des élus. Mais ceux sont en quelque sorte encadrés par la démocratie directe. Ils savent que les lois qu’ils font peuvent être bloquées par un référendum, ou que celles qu’ils ne font pas vont leur revenir dans la figure via une initiative populaire. Dans ce contexte, ils sont vraiment les représentants du peuple et très à son écoute… Toutes les lois ne passent donc pas forcément par une initiative populaire. Heureusement d’ailleurs.
Surtout, il ne sert à rien de chercher à corrompre un député en Suisse, c’est le peuple qui a toujours le dernier mot. Demandez à Monsanto, en Suisse, ça fait belle lurette que cette société n’écoule plus ses produits toxiques… Le peuple en a décidé ainsi !